Décriée pour son impact environnemental néfaste et la mauvaise qualité de ses produits, la fast fashion continue pourtant de séduire les jeunes. Un paradoxe, à l’heure où ces derniers apparaissent comme la population la plus engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique et la transformation de la société de consommation.
Décriée pour son impact environnemental néfaste et la mauvaise qualité de ses produits, la fast fashion continue pourtant de séduire les jeunes. Un paradoxe, à l’heure où ces derniers apparaissent comme la population la plus engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique et la transformation de la société de consommation.
Par Samuel Arnaud - Publié le 24/10/22
Shein (Chine), BlushMark (États-Unis), Boohoo (Grande-Bretagne) ou Emmiol (Hong-Kong) sont les nouvelles marques à succès de la fast fashion. En 2021, la première est même devenue leader de son marché aux États-Unis devant les géants historiques H&M et Inditex (Zara, Bershka, etc.). Cette popularité s’est bâtie auprès des jeunes, particulièrement de la génération Z, qui désigne les personnes nées entre 1996 et 2010.
La fast fashion a ainsi su outrepasser son impact environnemental, qui aurait pu apparaître comme un frein à son essor chez les moins de 25 ans. Le gaspillage vestimentaire, l’importante consommation d’eau et de ressources nécessaires ou les conditions de travail difficiles dans lesquelles sont fabriquées ces vêtements ne font plus le poids face aux stratégies marchandes déployées par l’industrie de la mode.
Une offre sans fin à bas prix
En proposant de nouveaux produits et collections très régulièrement – chaque jour dans le cas de l’ultra fast fashion, dont Shein est le représentant le plus emblématique –, le secteur parvient à surfer en temps réel sur les tendances. Il exploite le besoin des consommateurs de se démarquer et de posséder l’article que personne d’autre n’aura. « Les jeunes ne viennent pas y chercher de la qualité et du durable mais de la mode jetable, il s’agit pour eux d’avoir la pièce vue sur les réseaux sociaux immédiatement », explique Marie Dupin, de l’agence de conseil en stratégie NellyRodi. « C’est un modèle antinomique avec l’image que l’on peut avoir des teenagers engagés. Il y a un petit côté schizophrène entre le ‘moins mais mieux’ recherché et ici le toujours plus rapide et moins cher ».
La faible qualité des vêtements et la chaîne logistique mise en place, basée sur des relations resserrées avec les fournisseurs pour qu’ils puissent s’adapter rapidement, voire une intégration totale de la chaîne de production, permettent en effet aux entreprises de la fast fashion de proposer des prix très bas. Un argument essentiel pour s’adresser à des jeunes dont le pouvoir d’achat demeure limité.
Exploiter les réseaux sociaux et les nouveaux codes du marketing
Instagram et TikTok représentent les outils phares de la communication de la fast fashion. Les marques ont rapidement adopté les codes de la nouvelle génération présente sur ces réseaux. Jeux, concours, recours aux influenceuses, formats vidéo spécifiques (déballage de colis, essayage, etc.) : les méthodes utilisées s’avèrent variées pour convaincre et fidéliser les clients. L’objectif est de faire oublier l’acte d’achat, en combinant les prix bas et la nécessité de se conformer à la mode en cours sur les réseaux. « La marque vise […] les jeunes filles de 14 ans qui se créent des paniers comme un jeu, tellement les produits sont peu chers. Avec Shein, elles ont accès à la mode des influenceuses qu’elles suivent, alors qu’avant, elles devaient attendre six mois pour retrouver chez Zara une déclinaison accessible des tenues portées », détaille Marie Dupin.
Les marques peuvent également se positionner sur des problématiques sociétales autres que l’environnement pour séduire des jeunes sensibles à ces questions. C’est le cas de Savage X Fenty, spécialisée dans la lingerie et lancée en 2018 par la chanteuse Rihanna. Si la qualité et la fabrication des pièces interrogent, le groupe se réfugie derrière son approche inclusive, soucieuse de représenter toutes les morphologies, pour séduire et faire oublier le reste.
Les consommateurs détiennent la clé
L’enjeu est désormais de savoir si des success story comme Shein sont susceptibles de se reproduire ou si la conscience environnementale des jeunes finira par prendre le dessus. Les initiatives luttant contre cette « mode jetable » tendent en tout cas à se multiplier. En 2022, la plateforme américaine de seconde main ThredUp a lancé une hotline pour aider les jeunes « addict » aux achats de vêtements à changer leur comportement.
Du côté de la fast fashion elle-même, les lignes commencent à bouger. Bousculé par ses nouveaux concurrents, H&M veut se relancer en misant notamment sur l’écoresponsabilité. L’enseigne souhaite que tous ses produits puissent être recyclés en 2025, puis que l’utilisation de matériaux durables soit privilégiée d’ici 2030. La seconde main et la location de vêtements constituent d’autres pistes explorées.
Malgré ces efforts, l’évolution du comportement de la clientèle décidera finalement de l’avenir de la fast fashion. Accusé de favoriser le gaspillage, George Chiao, responsable des opérations de Shein aux États-Unis, avait simplement répondu : « c’est ce que veulent les consommateurs ». En refusant de perpétuer cette ultra-consommation et en rejetant les codes du marketing viral, les jeunes pourraient amener l’industrie à se réinventer rapidement. Dans le cas contraire, d’autres Shein risquent d’émerger.