Après André, Kookaï ou encore Camaïeu, c’est au tour l’enseigne San Marina d'annoncer la fermeture de ses magasins en France, le 18 février 2023. Une série noire pour le secteur de l'habillement confronté à une crise sans précédent. Parmi les causes identifiées : la digitalisation ratée des acteurs historiques et l'inflation qui limite les achats d'habillement.
Après André, Kookaï ou encore Camaïeu, c’est au tour l’enseigne San Marina d'annoncer la fermeture de ses magasins en France, le 18 février 2023. Une série noire pour le secteur de l'habillement confronté à une crise sans précédent. Parmi les causes identifiées : la digitalisation ratée des acteurs historiques et l'inflation qui limite les achats d'habillement.
Par Justine Carrel - Publié le 09/03/23
Multiplication des plans sociaux, procédures de redressement judiciaire, liquidations… De nombreuses entreprises françaises du secteur de l'habillement sont dans la tourmente depuis quelques années. La crise tend à s'intensifier avec les nouvelles pratiques d'achats des consommateurs et la conjoncture défavorable.
Fermetures et procédures collectives en cascade
San Marina
En septembre 2022, le tribunal de commerce de Marseille avait ouvert une procédure de redressement judiciaire pour l'enseigne de chaussures San Marina (groupe Vivarte). Les deux actionnaires majoritaires envisageaient de reprendre un peu moins du tiers des 163 magasins, en cédant leur part majoritaire pour attirer d’autres investisseurs. Mais ils ont abandonné leur offre le 13 février 2023, faute de financement suffisant. L'enseigne a été placée en liquidation judiciaire le 20 février 2023.
C & A
L’enseigne d’habillement a fermé les portes de deux de ses trois magasins parisiens, boulevard Haussmann et rue de Rivoli, début février 2023.
Galeries Lafayette
Mi-février 2023, l’entrepreneur Michel qu’il comptait placer ses 26 magasins Galeries Lafayette en redressement judiciaire. "Leur situation est saine", avait ajouté l’entrepreneur. Depuis, une demande de placement en procédure de sauvegarde auprès du tribunal de commerce de Bordeaux a été faite.
Go Sport
La société Go Sport France a été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Grenoble début février 2023. La maison mère du distributeur d’articles sportifs, le Groupe Go Sport, a été lui-même été déclaré en redressement judiciaire deux semaines avant.
Pimkie
En février 2023 l'enseigne de prêt-à-porter féminin Pimkie a été reprise par le consortium Pimkinvest, composé de Lee Cooper France, Ibisler Tekstil et Kindy. Ce dernier s'est donné comme mission de redresser l'activité des 426 magasins situés pour l'essentiel en Europe occidentale, dont 302 en France.
André et Kookaï
Le chausseur André a été placé en redressement judiciaire le 8 février 2023 par le tribunal de Nanterre. Il fait partie de la longue liste d’enseignes ayant appartenu au groupe Vivarte, aujourd’hui confrontées à des difficultés financières, comme San Marina ou Kookaï.
Camaïeu
L’enseigne de prêt-à-porter féminin a été placée en liquidation judiciaire fin septembre 2022 par le tribunal de commerce de Lille, deux mois après un redressement judiciaire. Tous les magasins ont définitivement fermé le 1er octobre. En 2020, son actionnaire Hermione People & Brands (HPB) s’était donné deux ans pour remettre à l’équilibre l’enseigne, en reprenant 511 des 634 magasins de l'enseigne, sans y parvenir.
Celio
Le leader du prêt-à-porter masculin a été placé en procédure de sauvegarde en 2020. En octobre de la même année, Celio a annoncé la fermeture de 102 magasins et la suppression de 383 postes dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. L’enseigne comptait alors 1 500 magasins dans 46 pays dont 478 en France, et 4 200 salariés dans le monde dont 2 416 dans l’Hexagone.
La Halle
Également propriété du groupe Vivarte, l’enseigne de vêtements et chaussures La Halle a été placée en redressement judiciaire en juin 2020. En juillet de la même année, le groupe Beaumanoir a repris une grande partie de l’enseigne : 366 des 871 magasins ont été sauvés.
Cop.copine
Placée en redressement judiciaire en novembre 2022 par le tribunal de commerce de Bobigny, la marque-enseigne Cop.Copine a cessé son activité après trente-sept ans d’existence. L’enseigne est reprise partiellement par le groupe Antonelle, qui fait l’acquisition de 23 des 48 magasins pour les passer sous sa marque.
Des causes multiples
Pour Gildas Minvielle, directeur de l’observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM), la crise du secteur français de l'habillement a démarré en 2015. Les chaînes spécialisées, après une forte expansion, notamment dans les centres commerciaux, ont cessé d'ouvrir des magasins en masse. Cette même année, elles ont vu se développer sur le marché, de manière accélérée, de nouveaux acteurs comme Primark, avec ses grands magasins et ses prix bas, les déstockeurs comme Action ou Zeeman, mais également les sites de vente en ligne, dont l’américain Amazon et l’allemand Zalando. Depuis, les chaînes d’entrée de gamme, qui avaient auparavant pris la place des détaillants indépendants, souffrent de cette concurrence, selon Le Monde. La fréquentation des galeries marchandes et des rues commerçantes s'est effondrée.
Autre explication, la nouvelle génération de consommateurs, et notamment de consommatrices, s'est massivement convertie à la vente en ligne, délaissant les boutiques historiques comme Pimkie, Kookaï ou Camaïeu. Ce phénomène s'est accentué en 2020 avec la pandémie de Covid-19 et la fermeture des boutiques physiques. Le canal du e-commerce aurait gagné 5 points de parts de marché, selon Hélène Janicaud, directrice du pôle mode chez Kantar Worldpanel. La vente en ligne représente désormais 20 % des ventes d’habillement. Mais alors que 60 % des volumes de ventes en ligne sont réalisés à prix cassés, le canal Internet participe à la dévalorisation du marché. À tel point qu'en 2021, 70 % des volumes de vente ont été réalisés sur l'offre entrée de gamme, d'après Hélène Janicaud.
Les consommateurs sont également de plus en plus nombreux à se tourner vers la seconde main pour leurs achats de mode, désormais informés sur les effets néfastes de la production de vêtements (et notamment de la fast fashion) sur l'environnement. Mais les jeunes marques éthiques sont encore loin de rivaliser avec les géants de la fast fashion et ne représentent pas vraiment une menace pour ces derniers.
"La crise est d’abord celles des enseignes françaises", analyse Gildas Minvielle. Les plus fragiles sont les entreprises qui se sont développées sur des petits formats dans les galeries marchandes des hypermarchés et n’ont pas réussi à s’étendre pour habiller et chausser toute la famille, à la manière du suédois H&M et de l’espagnol Zara. Ces chaînes n’ont pas résisté à la concurrence des poids lourds du marché. Les plus fragilisées ont choisi de réduire la voilure en misant sur un nouveau positionnement, comme Pimkie. D’autres ont vu leur activité cesser, à l'instar de Camaïeu ou San Marina.
En 2023, l'inflation risque de pénaliser le marché français de l’habillement. Les enseignes sont confrontées d'une part à une hausse de leurs coûts de revient et de leurs loyers en centres commerciaux, et d'autre part des clients moins enclins à dépenser alors qu'ils subissent une baisse de leur pouvoir d'achat. La hausse des prix des vêtements en France est, pour l’heure, bien plus contenue que dans les rayons alimentaires : + 6 % en moyenne en 2022. Mais "les achats de mode ont souvent servi de variable d’ajustement pour faire face aux fortes hausses de prix observées dans l’alimentaire ou dans le secteur de l’énergie", relève l’IFM dans une étude parue début janvier.