Fortement touchée par les pénuries, en raison de la crise de Covid-19, puis par l'inflation, l'industrie des semi-conducteurs sort néanmoins gagnante de ces années compliquées. Désormais indispensables au sein d'une économie de plus en plus numérisée, ces puces électroniques deviennent un enjeu autant économique que souverain.
Fortement touchée par les pénuries, en raison de la crise de Covid-19, puis par l'inflation, l'industrie des semi-conducteurs sort néanmoins gagnante de ces années compliquées. Désormais indispensables au sein d'une économie de plus en plus numérisée, ces puces électroniques deviennent un enjeu autant économique que souverain.
Par Samuel Arnaud - Publié le 19/06/23
Faits, tendances et initiatives
v Le marché des semi-conducteurs était évalué à 412 milliards de dollars en 2019. Deux ans plus tard, il s'affiche à 527 milliards, et pourrait frôler les 600 milliards en 2022 selon les prévisions du cabinet Deloitte. La demande n'est pas près de s'estomper tant les semi-conducteurs apparaissent comme des éléments clés des transitions numérique et également écologique, en raison de l'électrification massif des usages.
v Les effets combinés de l'inflation, des pénuries et de difficultés de recrutement dans la filière pourraient cependant ralentir le marché en 2023. Il repartirait toutefois à la hausse les années suivantes pour s'établir à 675 milliards de dollars en 2026, suivant une croissance annuelle moyenne de 6,4 % entre 2021 et 2026.
v En 2021, 1 150 milliards de puces avaient été vendues dans le monde d'après la Semiconductor Industry Association. Selon le cabinet Roland Berger, l'informatique représente 40 % du marché et les télécommunications 20 %. Suivent trois segments aux alentours de 10 % : l'automobile, l'industrie et les produits de consommation. Les autres secteurs clients se partagent les 10 % restants (aérospatial, défense, médical, etc.).
v Les États prennent conscience de l'importance de ces composants et cherchent à réduire leur dépendance à l'Asie, principal territoire de fabrication des semi-conducteurs. Les plans de subventions et d'investissement, afin d'attirer les industriels, se multiplient : 52 milliards de dollars avancés par les États-Unis, 43 milliards d'euros par l'Union européenne…
Sélection d’acteurs
· Intel (États-Unis, 63,6 milliards de dollars de chiffre d'affaires estimé en 2022) : le fabricant a traversé une passe difficile en 2022, souffrant du ralentissement du marché du PC et du retard pris sur le développement de la nouvelle génération de processeurs dédiés aux centres de données.
· Nvidia (États-Unis, 26,9 milliards de dollars de chiffre d'affaires estimé en 2022) : ce concepteur de puces, qui sous-traite sa fabrication, apparaît comme le leader de son segment avec une capitalisation boursière dépassant les 400 milliards de dollars. Si ses puces graphiques dédiées aux jeux vidéo et au minage de cryptomonnaies ont baissé d'un ton en 2022, celles dédiées aux centres de données ont affiché une belle forme.
· AMD (États-Unis, 23,5 milliards de dollars de chiffre d'affaires estimé en 2022) : en chute sur le segment PC, en forte hausse sur celui de puces pour serveurs, AMD parvient à l'équilibre. L'entreprise veut continuer à accélérer sur ce second segment, où elle est déjà passée de 1 à 11 % de parts de marché à l'échelle mondiale depuis 2018.
· ASML Holding (Pays-Bas, 21,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires estimé en 2022) : ce spécialiste des machines pour la fabrication de puces bénéficie d'une position dominante, avec près de 60 % du marché sous sa coupe. Deux obstacles viennent cependant l'entraver : le caractère cyclique du marché des semi-conducteurs, qui entraîne des baisses régulières d'activité, et la géopolitique, qui limite ses exportations vers certains territoires, notamment la Chine.
· STMicroelectronics (France/Italie, 15,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires estimé en 2022) : le fondeur franco-italien se diversifie pour ne plus dépendre des produits électroniques, en se tournant notamment vers l'automobile. Il reste optimiste pour l'avenir et prévoit de bâtir une nouvelle usine à Catane (Italie) pour sécuriser ses approvisionnements en substrats de silicium.
· Infineon (Allemagne, 14,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires estimé en 2022) : comptant parmi les premiers fondeurs européens, le groupe compte de nombreux secteurs clients, dont l'automobile, les énergies renouvelables ou les objets connectés. Cette large couverture fait ses affaires : Infineon a relevé plusieurs fois ses objectifs financiers en 2022 et souhaite débuter la construction d'une nouvelle usine à Dresde (Allemagne) en 2023.
· ASM International (Pays-Bas, 2,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires estimé en 2022) : ancienne maison-mère d'ASML, cette société s'est spécialisée dans la technique de gravure ALD. Un pari payant puisque son chiffre d'affaires, en croissance, pourrait avoisiner les 3 milliards d'euros en 2025.
· Soitec (France, 1,1 milliard d'euros de chiffre d'affaires estimé en 2022) : producteur de substrats semi-conducteurs utilisés dans la fabrication des puces, le groupe français affiche sa solidité sur les segments de l'automobile et des télécoms, qui viennent contrebalancer la baisse de celui des smartphones. Il compte renforcer sa production via une quatrième usine nécessitant 220 millions d'euros d'investissement à Bernin (Isère).
· X-Fab (Belgique, 717 millions d'euros de chiffre d'affaires estimé en 2022) : spécialiste des circuits analogiques ou mixtes et de microsystèmes électromécaniques, le fondeur belge voit son chiffre d'affaires progresser, porté par la demande en hausse dans l'automobile. Il devrait finir 2022 au-delà des 700 millions d'euros, contre 577 millions en 2021.
· Kalray (France, 14,5 millions d'euros de chiffre d'affaires estimé en 2022) : ce petit concepteur de puces pourrait passer un cap grâce à la signature d'un important contrat sur cinq ans avec une société cotée au Nasdaq, restée anonyme mais dont la capitalisation boursière dépasse les 100 milliards de dollars. L'accord porte sur la fourniture d'une nouvelle génération de cartes d'accélération.
Chiffres clés
(sources : Deloitte, Semiconductor Industry Association)
§ 527 milliards de dollars : la valeur du marché mondial des semi-conducteurs en 2021. Elle était à 335 milliards en 2015, 412 milliards en 2019, et est attendue aux alentours de 675 milliards en 2025.
§ 1 150 milliards : le nombre de puces vendues dans le monde en 2021.
§ 500 milliards de dollars : le montant des pertes estimées chez les clients des fabricants de semi-conducteurs en raison de la pénurie de composants ayant fait son apparition depuis 2020.
Paroles d'expert
" L’effet de cyclicité n’appartient pas au passé. Après une année 2022 mouvementée, on s’attend à voir une baisse d’au minimum 5 % du marché en 2023. […] La croissance à long terme [devrait néanmoins être] comprise entre 5 et 10 %."
"Les pouvoirs publics ont trop longtemps sous-estimé l'importance des semi-conducteurs dans le mode de vie moderne. […] [Il y a] une course entre Vieux Continent et Nouveau Monde pour rattraper l'Asie."
Michael Alexander, partner spécialisé en électronique chez Roland Berger
Synthèse rédigée d'après l'article "Vers un retour en grâce des semi-conducteurs après plusieurs revers", in Investir – Le Journal des finances, n° 2553, 10 décembre 2022
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