Les réseaux de cliniques vétérinaires grossissent rapidement en France depuis quelques années. Une croissance qui attire l'attention des fonds d'investissement, mais également des autorités, soucieuses de réguler la financiarisation du secteur.
Les réseaux de cliniques vétérinaires grossissent rapidement en France depuis quelques années. Une croissance qui attire l'attention des fonds d'investissement, mais également des autorités, soucieuses de réguler la financiarisation du secteur.
Par Samuel Arnaud - Publié le 14/09/23
2 % des vétérinaires français travaillaient au sein de groupes centralisés de cliniques en 2017 ; ils étaient 24 % cinq ans plus tard. Ces réseaux regroupent désormais 16 % des établissements hexagonaux, contre 1 % en 2017, poursuit le cabinet de conseil Phylum, spécialisé dans l'alimentaire et la santé animale. Ce nouveau modèle prend de l'ampleur au sein d'un secteur très atomisé, où la majorité des vétérinaires exercent en tant que profession libérale. Or, un nombre croissant souhaitent quitter ce fonctionnement, jugé trop lourd. Vendre son cabinet permet également d'obtenir un gain financier non négligeable, particulièrement pour les professionnels proches de la retraite. "Les vétérinaires seniors veulent valoriser leur capital, tout en assurant la pérennité de leur établissement. Et certains quadragénaires tiennent à s'extraire des contraintes de gestion. Par souci d'un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle, ils aspirent à travailler comme salariés plutôt qu'en libéral", résume dans Capital Emeric Lemarignier, PDG d'Argos Vétérinaire et président du Syndicat des groupes d'exercice vétérinaire.
Cette montée en puissance s'explique aussi par la dynamique du secteur : les Français comptent parmi les plus grands possesseurs de chiens et de chats d'Europe. Leur consommation en services vétérinaires a augmenté de 60 % au cours de la dernière décennie et le marché atteint désormais les 4 milliards d'euros, analyse Xerfi. La croissance annuelle devrait se maintenir à 3 % au moins jusqu'en 2024.
La course entre réseaux est lancée
La construction de ces réseaux de cliniques s'est donc nettement accélérée ces dernières années. Encore inexistant il y a cinq ans, Mon Véto regroupe désormais plus de 160 établissements, dont la moitié acquis en 2022-2023. Sevetys, 200 cliniques, et Argos Vétérinaire, 105 cliniques, complètent le trio de tête français. Des acteurs étrangers sont également entrés dans la course. C'est le cas du britannique IVC Evidensia, considéré comme leader sur le territoire tricolore avec plus de 250 établissements, ou du suédois AniCura et de ses 18 cliniques. Cette concurrence, qui pousse à étendre son réseau plus rapidement que les autres, fait exploser les prix d'acquisition des cabinets vétérinaires, "multipliés par trois par rapport aux usages qui faisaient référence il y a encore sept ou huit ans", note Philippe Baralon, fondateur de Phylum.
Cette nécessité de grossir s'explique également par le modèle économique de ces grands groupes. En multipliant leur nombre de cliniques, ils peuvent mutualiser certaines fonctions (informatique, comptabilité, etc.) et achats (équipements, fournitures, etc.), réalisant ainsi des économies d'échelles conséquentes et boostant leur rentabilité. "Une clinique ne vaut pas grand-chose, un groupe de cliniques vaut cher", estime un banquier d'affaires interrogé par l'AFP, dont la déclaration a été reprise par le site spécialisé Web-agri.
Les investisseurs sont à l'affût, mais les autorités veillent
La belle forme du secteur tend à attirer les fonds d'investissement, friands de ces "plateformes qui deviennent de plus en plus rentables grâce aux économies d'échelle", indique Web-agri. En 2023, Ardian est ainsi entré au capital de Mon Veto via une prise de participation minoritaire s'élevant à 100 millions d'euros. Un an plus tôt, Eurazeo déboursait 250 millions d'euros pour devenir actionnaire de Sevetys. Chez IVC Evidensia, le fonds suédois EQT accompagne le groupe depuis 2016. Les industriels actifs sur le marché animal (services, soins, alimentation) sont également à la manœuvre : Nestlé a rejoint EQT au capital d'IVC Evidensia en 2019, alors que Mars a racheté AniCura en 2018.
Cet intérêt croissant demeure surveillé par les organisations professionnelles et les autorités. "Soumis à une logique de financiarisation, le secteur de la santé peut connaître des dérives, comme on l'a vu avec les maisons de retraite et les réseaux dentaires. Il est donc indispensable de bien réguler ces activités", estime Jacques Guérin, président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires. En 2023, ce dernier a décidé de radier quatre cliniques, jugeant qu'elles étaient contrôlées à moins de 50 % par des vétérinaires professionnels. Le Conseil d'État a validé cette décision, rappelant que le Code rural et de la pêche stipulait que "plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue [...] par des personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire en exercice au sein de la société". Certains réseaux pourraient ainsi être obligés de revoir leur organisation juridique, même si cela n'empêchera pas un certain contournement de la loi, déplore Jacques Guérin.
Le Conseil d'État a en revanche estimé que les fabricants de petfood et les laboratoires de santé animale pouvaient devenir actionnaires de cliniques vétérinaires, tant que des filiales distinctes permettaient de séparer ces activités. Un positionnement qui ne ravit pas certains professionnels, pour qui "leur modèle d'indépendance vis-à-vis de tout actionnaire extérieur [est] garant du respect de la déontologie", rapporte Capital.