Son impact néfaste sur l'environnement est reconnu, mais le plastique reste plus prisé que jamais dans le monde. Face à une demande en hausse constante, les grands industriels augmentent leurs capacités de production et participent à entretenir la dynamique de l'industrie de la pétrochimie.
Son impact néfaste sur l'environnement est reconnu, mais le plastique reste plus prisé que jamais dans le monde. Face à une demande en hausse constante, les grands industriels augmentent leurs capacités de production et participent à entretenir la dynamique de l'industrie de la pétrochimie.
Par Samuel Arnaud - Publié le 30/11/23
Entre 1950 et 2017, plus de 8,3 milliards de tonnes de plastiques ont été fabriquées par l'humanité, dont plus de la moitié depuis 2000, rapportait une étude américaine parue dans la revue Science Advances. Un total qui devrait largement s'accroître dans les décennies à venir tant le plastique, déjà omniprésent dans la société, va être de plus en plus utilisé. "La matière plastique est très décriée, mais dans bien des cas elle ne peut pas être remplacée", indique Luc Averous, professeur à l’École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg, dans Le Monde. Peu onéreux, isolant, solide ou mou, léger, le plastique sert aussi bien dans le bâtiment que dans les transports, en passant par la médecine, le textile et les emballages. En un peu plus de cinquante ans, ce matériau a "bouleversé la hiérarchie des substances", constate Baptiste de la Gournerie, l'un des fondateurs de l'association Utopia, qui rédige une "encyclopédie des plastiques".
Développement et transition énergétique participent aussi à tirer la demande
Selon l'OCDE, la consommation mondiale de plastique pourrait quasiment tripler entre 2019 et 2060, en passant de 460 millions à 1,2 milliard de tonnes. La demande serait multipliée par deux en Europe et en Chine, par cinq en Inde et même par six en Afrique. "Dans le scénario de transition le plus ambitieux de l'AIE [Agence internationale de l'énergie], le pétrole combustible se réduit drastiquement d'ici à 2050. La consommation du plastique (un peu moins de 10 % de la consommation mondiale du brut), elle, ne ferait au mieux que se stabiliser, engloutissant ses 10 millions de barils quotidiens actuels", relaie L'Usine Nouvelle.
En plus de profiter des besoins des pays riches et de la société de grande consommation, le plastique tend également à se répandre dans les pays en développement. "La consommation est corrélée au niveau de vie et les pays émergents, encore loin des plus de 100 kilos de plastiques utilisés en moyenne par un Européen chaque année, offrent de belles perspectives de croissance", confirme L'Usine Nouvelle, ce qui explique les fortes hausses de la demande attendues en Afrique ou en Inde.
La transition énergétique en cours nécessite également de massives quantités de plastique. Ce dernier est notamment utilisé dans les travaux d'isolation thermique des bâtiments, dans la fabrication des pâles d'éoliennes comprenant des matériaux composites, ou encore au sein des nouveaux modèles d'automobiles ou d'avions, pour les alléger et réduire leur consommation d'énergie. Ainsi, paradoxalement, pour diminuer son impact environnemental et tenter de ralentir le réchauffement climatique, l'humanité aura de plus en plus recours à un matériau extrêmement polluant. "Les plastiques se dégradent en micro et nanoplastiques qui s'accumulent dans les organismes vivants, entraînant des dysfonctionnements graves", rappelle Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae).
Des investissements massifs pour soutenir la fabrication
Partout dans le monde, pétroliers et plasturgistes bâtissent de nouveaux sites afin d'anticiper la croissance de la demande mais également, pour les premiers, compenser le recul à venir des énergies fossiles. "Depuis une décennie, des acteurs investissent dans des méga-infrastructures neuves spécifiquement conçues pour maximiser la production de produits pétrochimiques : c'est le crude-to-chemicals", décrit Luc Wolff, chargé des produits pétrochimie du groupe Axens, dans L'Usine Nouvelle. TotalEnergies et Saudi Aramco ont ainsi consacré 10,5 milliards d'euros au projet Amiral, qui vise à inaugurer en 2027, à Jubail (Arabie Saoudite), l'un des plus grands complexes pétrochimiques du monde. L'énergéticien français a également collaboré avec l'autrichien Borealis pour construire un vapocraqueur à Port Arthur (États-Unis). De son côté, Axens travaille avec le chinois Hengli Petrochemical pour faire sortir de terre un site de production de paraxylène, un composé aromatique utilisé dans la fabrication de PET.
D'après le cabinet McKinsey, une capacité de 33 millions de nouvelles tonnes annuelles d'éthylène va émerger d'ici 2026 en prenant en compte l'ensemble des projets confirmés. Un chiffre déjà supérieur à la capacité totale installée en Union européenne. Plus de la moitié du total (19 millions de tonnes) est dû à des initiatives chinoises, contre 5 millions en Amérique du Nord et 3 millions au Moyen-Orient. "Les investissements en Chine sont étroitement liés à la demande. Grand consommateur de produits pétrochimiques, ce pays a investi massivement au cours des vingt dernières années dans son infrastructure chimique pour se rapprocher d'un niveau d'autosuffisance", détaille Hugues Lavandier, directeur associé chez McKinsey.
Les enjeux environnementaux ne préoccupent pas ces grandes entreprises, qui voient surtout le potentiel économique majeur de l'industrie plastique. "Il y a un risque financier à investir dans la production de plastique : ce n'est pas un secteur d'avenir et il engendre des coûts pour les communautés et l'environnement", estime toutefois Delphine Lévi Alvarès, chargée de campagne pétrochimie pour l'organisation Break free from plastic. Un avertissement qui, pour l'instant, résonne faiblement aux oreilles des concernés.
Principales sources utilisées pour la rédaction de cet article :
· Delacroix Guillaume, "Face à l'hégémonie du plastique et aux impasses du recyclage, l'humanité toujours sans solution", lemonde.fr, 3 septembre 2023
· "L'irrésistible ascension du plastique", L'Usine Nouvelle, novembre 2023, pp.84-94, 96-100, 102-107