Souvent désigné comme l'une des solutions phares contre la pollution plastique, le recyclage présente en réalité de nombreuses limites, en plus de ne concerner qu'une partie mineure des déchets. Surtout, la focalisation sur le recyclage pourrait empêcher de se concentrer sur la réduction de la production de plastique, levier plus que prioritaire pour lutter contre la pollution générée.

Par Samuel Arnaud - Publié le 04/12/23

Réglementations, progrès techniques, investissements : le recyclage est au cœur de nombreux projets de l'industrie plastique. Pour tenter de réguler le flot de déchets plastiques, il apparaît comme une solution majeure, défendue par plusieurs grands pays présents à la table des négociations internationales concernant la lutte contre la pollution plastique (Arabie Saoudite, Chine, États-Unis, etc.), qui ne souhaitent pas que la production de plastique vierge ralentisse trop brusquement.

Pourtant, le recyclage affiche des résultats plutôt faibles actuellement. Au niveau mondial, en 2019, à peine 9 % du plastique mis en circulation était recyclé, rappelle l'OCDE, qui estime que cette proportion ne dépassera pas les 17 % en 2060. Cette légère progression ne permettra pas de compenser la hausse de la consommation de plastique, dont la quantité totale utilisée tous les ans pourrait tripler d'ici 2060.

"Ce qui est appelé recyclage est en réalité du décyclage"

Pour Nathalie Gontard, directrice de recherche à l'Inrae et spécialiste des emballages plastiques, le problème du recyclage actuel réside dans le fait qu'il ne s'inscrit quasiment jamais dans une boucle fermée. "Le seul recyclage qui réduit la pollution plastique est celui qui régénère un objet usagé en un objet identique à l'initial. On ne sait le faire que pour les bouteilles en PET, qui représentent moins de 1 % des plastiques utilisés", rappelle-t-elle dans L'Usine Nouvelle. Dans la très grande majorité des cas, le recyclage aboutit donc à la fabrication d'autres produits, qui deviendront à leur tour des déchets impactant l'environnement. "Ce qui est appelé recyclage est en réalité du décyclage : on cherche de nouveaux débouchés pour écouler du plastique dégradé dans de nouveaux objets. On se donne bonne conscience, mais ce déchet, qui, de fait, n'en est plus un, continue de se dégrader en microplastiques. On ne réduit donc pas cette pollution et on fait disparaître des filières entières de matériaux qui ne posent pas de problèmes environnementaux. Et on achète un pull en polyester plutôt qu'en laine, une chaise en plastique décyclé plutôt qu'en bois. Le cercle vertueux de l'économie circulaire n'étant pas bouclé, nous créons une économie tire-bouchon qui perpétue la pollution plastique", détaille-t-elle.

Le décyclage n'est cependant pas nécessairement une finalité. Dans Le Monde, le chercheur José-Marie Lopez-Cuesta, professeur au Centre des matériaux des mines d'Alès, estime que le progrès technologique peut permettre de "réparer et reformuler les plastiques", pour produire de nouveaux des objets de première qualité. "On ne le fait pas, pour des questions de coûts et de maîtrise des filières de tri et d’identification. Mais, si on mettait le paquet, on pourrait gérer le stock patrimonial des plastiques en fin de vie, en ayant des ambitions plus élevées que d’en faire des bacs à fleurs", explique-t-il.

Ces investissements en R&D et dans l'innovation, en dehors du recyclage chimique, restent cependant rares, les industriels n'y trouvant pas d'intérêt économique. Les nouvelles usines sortant de terre tendent plutôt à perpétuer un recyclage destiné à produire des objets orientés bas de gamme. "Je suis ébahie de voir l'argent, privé mais aussi public, qu'on y met", dénonce Flore Berlingen, autrice de l'ouvrage Recyclage. Le grand enfumage.

Ne pas se détourner du nécessaire recul de la production

S'il peine à remplir l'objectif de réduction des déchets générés, le recyclage risque également de trop accaparer l'attention, au détriment d'autres solutions plus pertinentes. "Il faut qu’on fasse attention à ce que la question du recyclage ne remplace pas le débat sur la réduction de la production. Si on augmente nos taux de recyclage mais qu’en parallèle on augmente notre production de plastique, on aura reculé dans la résolution du problème", avertissait le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, au printemps 2023. Quelques semaines plus tard, le député Philippe Bolo et la sénatrice Angèle Préville publiaient une étude sur cette thématique et parvenaient à une conclusion similaire : "[Le recyclage n'est qu'un] amortisseur temporel de la formation de déchets, sans permettre de les éviter. […] Le recyclage ne peut pas permettre à l’industrie plastique d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Il doit s’intégrer dans une stratégie plus large visant à réduire notre consommation de plastiques."

Des pays comme la France ou l'Allemagne défendent une vision de ce type, mêlant recyclage accentué et baisse de la production, dans les discussions visant à faire émerger de nouvelles législations autour de la réduction de la pollution plastique. Reste à convaincre les fabricants – et les États qui les soutiennent – d'adopter une position similaire, alors que celle-ci va à l'encontre de leurs intérêts directs. "Réduire notre consommation de moitié ne devrait pas être très difficile. C'est aux industriels de proposer et aux politiques d'avoir le courage de les y inciter et de les épauler sans les égarer dans des concepts éloignés de la réalité comme l'économie circulaire", conclut Nathalie Gontard.

Samuel Arnaud

Principales sources utilisées pour la rédaction de cet article :

·         Delacroix Guillaume, "Face à l'hégémonie du plastique et aux impasses du recyclage, l'humanité toujours sans solution", lemonde.fr, 3 septembre 2023

·         Roudaut Maëlle, "Pourquoi le recyclage n’est plus la solution miracle face au problème du plastique", huffingtonpost.fr, 2 juin 2023

·         "L'irrésistible ascension du plastique", L'Usine Nouvelle, novembre 2023, pp.84-94, 96-100, 102-107